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IVG « de confort » : les arroseurs arrosés.

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Tout d’abord, félicitations : vous avez survécu à la journée de Lafâme. Normalement, vous n’avez qu’une envie : passer à autre chose. Dommage, car il nous faut revenir au 8 mars 2009, la journée de Lafâme d’il y a trois ans. À cette occasion, vous aviez pu lire sur ce site un article consacré à l’expression « IVG de confort », expression qui était alors passée complètement inaperçue ou presque. Elle était pourtant inscrite clairement dans le titre d’un article du journal Le Figaro, en date du 25 février 2009 : « De plus en plus d’avortements de confort ». Le Dr Grégoire Moutel, responsable du laboratoire d’éthique médicale de l’université Paris-Descartes, interrogé dans cet article, qui n’est plus accessible gratuitement sur le site du Figaro, s’offusque à présent de la récupération de ses propos par le FN : « J’ai été manipulé ! Je suis offusqué qu’un parti politique puisse utiliser partiellement des études scientifiques ». Ses propos étaient pourtant clairs, lorsqu’il s’est exprimé il y a trois ans dans les colonnes du Figaro : « À l’origine, les indications d’un avortement impliquaient une détresse matérielle ou psychologique de la femme, elles sont aujourd’hui plus de l’ordre du confort, ce qui n’est pas dans l’esprit de la loi. »

De plus en plus d’avortements de «confort»

(Le Figaro, 25/02/2009)

Certains gynécologues-obstétriciens se détourneraient de cette pratique à cause des dérives constatées ces dernières annnées.

La pénurie annoncée de praticiens de l’avortement ne serait pas uniquement liée à un problème de restructuration hospitalière ou de renouvellement de génération, mais au désinvestissement de professionnels qui se posent de plus en plus de questions face à la  consommation» de l’IVG. C’est en tout cas ce qu’observe le Dr Grégoire Moutel, responsable du laboratoire d’éthique médicale de l’université Paris-Descartes. «Beaucoup de professionnels, qui ne sont pas du tout des militants pro-vie, changent aujourd’hui de regard après avoir trop vu de glissements sur la pratique, explique-t-il. À l’origine, les indications d’un avortement impliquaient une détresse matérielle ou psychologique de la femme, elles sont aujourd’hui plus de l’ordre du confort, ce qui n’est pas dans l’esprit de la loi.»

Ce médecin en veut pour preuve le nombre de «récidives» : alors qu’une femme sur dix avait subi deux ou trois avortements il y a dix ans, elles sont aujourd’hui deux sur dix, révèle une de ses études. De même, du fait du rallongement du délai de 10 à 12 semaines, certaines femmes, lors de l’échographie du premier trimestre, feraient «passer des petits doutes d’anomalies sur des IVG», évitant ainsi l’IMG (interruption médicale de grossesse) soumise, elle, à l’avis médical rigoureux d’une collégialité d’experts.

Autre glissement : aux côtés de couples qui «se retrouvent légitimement à devoir faire une sélection sur cinq ou six embryons» après une assistance médicale à la procréation, «d’autres le font pour une simple gémellité !» observe-t-il. Autant de raisons, selon lui, qui font lever le pied à ses confrères sur la pratique. «Ils finissent par se dire qu’ils n’ont pas choisi la gynéco-obstétrique pour faire ça.» Selon lui, la révision des lois bioéthiques doit précisément être l’occasion, non pas de remettre l’IVG en cause, mais de repenser son accès et la façon dont ses indications sont posées.

Toujours est-il que depuis que cette expression est passée il y a quelques jours par la bouche de Marine Le Pen et Louis Alliot, le second du FN, les politiques et les journalistes s’agitent violemment le bocal.

« C’est dégueulasse ! »

Depuis la reprise par le Front National de cette expression, donc, au PCF, au Parti Socialiste, jusqu’à l’UMP, par la voix de la porte-parole de l’UMP Valérie Rosso-Debord, on se met à hurler qu’on ne peut pas parler d’IVG « de confort ». Pascale Clark, journaliste à France Inter, est même sortie littéralement de ses gonds face à Louis Aliot, en lui demandant de lui répéter cette expression en la regardant dans les yeux, avant de lui lancer : « C’est dégueulasse ! ».

C’est effectivement dégueulasse. Mais c’est loin d’être nouveau. Et cette expression est loin d’être l’apanage du Front National. Certes, le Front National est, à ma connaissance, le seul parti à proposer de dérembourser l’IVG. Mais le FN ne fait que surfer sur une vague qui consiste à voir l’IVG comme un acte moralement douteux, évitable et forcément traumatisant, pour la société et les femmes qui le demandent. Cette vision de l’avortement, c’est tout l’échiquier politique, ou presque, qui l’entretient.

Au nom de quoi trouvent-ils cette expression dégueulasse ? 

On pourrait se dire que cette levée de boucliers est très positive. Mais que signifie-t-elle ? On pourrait croire que ceux qui s’insurgent contre cette expression veulent à tous prix éviter que l’IVG soit, à la manière des médicaments dits de « confort », déremboursée. Mais hélas, il semblerait que ce qui les choque surtout, c’est qu’on accole le terme « confort » à celui d’IVG… car, disent-ils, l’IVG n’a rien de « confortable ». En somme, ce qui les retourne littéralement, c’est qu’on puisse présenter l’IVG autrement que comme un drame pour toute femme.

Au PS, on s’insurge ainsi en ces termes, sous le titre « L’IVG de confort n’existe pas » :

« Ce lundi 30 janvier dans l’émission « mots-croisés » le vice-président de Front National Louis Aliot a dénoncé des « IVG de confort ». Non, il n’y a pas d’IVG de confort, le choix de fonder une famille, de poursuivre une grossesse ne doit pas être subi. L’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) n’est jamais un acte anodin pour une femme. Le remboursement par la sécurité sociale de l’IVG est indispensable pour que chaque grossesse menée à terme soit désirée »

Par ailleurs, une récente tribune, écrite par Israël Nisand, Brigitte Letombe, gynécologues, et Sophie Marinopoulos, psychanalyste, nous enjoint de nous inquiéter de la hausse du nombre d’avortements chez les jeunes, au motif, selon eux, que l’avortement a forcément des conséquences dramatiques sur les femmes.

« nous ne pouvons pas laisser dire que les femmes qui y ont recours ne sont pas marquées, d’une façon ou d’une autre, par cette expérience. Nous voyons chaque jour dans nos consultations des femmes qui nous disent leur souffrance psychologique et leur mal-être parfois de nombreuses années après »

Cessez de parler à la place des femmes

Avec une mauvaise foi et un anti-intellectualisme totalement débridés, les trois auteurs de cette tribune dénient aux chercheur.es qui travaillent sur cette question toute légitimité à parler de l’IVG, au motif qu’ils ne sont pas aux côtés des femmes qui avortent. Aux praticiens comme I. Nisand, les femmes diraient « leur souffrance psychologique et leur mal-être parfois de nombreuses années après, alors qu’elles auraient pu «cocher» lors d’un sondage que «tout allait bien». La souffrance ne se coche pas, elle se parle ! ». Eh bien soit, puisque les femmes parlent, venez donc écouter les 3000 femmes qui ont signé l’appel « IVG, je vais bien, merci! » ; venez écouter les 200 femmes qui sont venues témoigner sur le site « IVG, je vais bien, merci !« . Ce qu’elles vous disent, c’est qu’il est bien souvent impossible de vous dire autre chose que ce que vous voulez entendre : que l’avortement serait un drame ; ce qu’elles vous disent, c’est que leurs larmes sont bien souvent provoquées par la manière dont elles peuvent être traitées lorsqu’elles interrompent volontairement leur grossesse, et non par l’IVG en elle-même; ce qu’elles vous disent, c’est que c’est votre attitude et le fait que les femmes soient résumées à leur rôle social de mères en puissance, qui les fait souffrir. Ce qu’elles vous disent, enfin, c’est de leur foutre la paix, de ne pas parler à leur place, et de cesser de leur dicter ce qu’elles doivent penser et ressentir.

La défense sur la défensive, ou comment défendre le droit à l’avortement… un peu mais pas trop.

Comment s’étonner, dès lors que l’IVG est présentée comme un drame et un acte à éviter absolument par toutes les composantes de l’échiquier politique ou presque, qu’un parti comme le Front National finisse par proposer qu’on le supprime ? Comment s’étonner que ce droit soit battu en brèche par un tel parti, si ceux qui sont supposés le défendre ne le font que du bout des lèvres, en le désignant non pas comme un droit, mais comme un pis aller, un traumatisme ou une déviance ?
Si l’on parle de l’avortement en disant que c’est un acte forcément SUBI (« elle a subi un avortement ») ; si l’on répète, sur les bancs de l’Assemblée Nationale comme dans les médias, qu’il faut éviter les avortements, au lieu de dire qu’il faut éviter les grossesses non désirées ; si l’on reste obsédé par le nombre d’avortements, comme s’il s’agissait d’un véritable fléau à combattre ; si l’on ne présente l’avortement que comme un échec ; si l’on colporte le fantasme selon lequel des femmes utiliseraient l’avortement comme un moyen de contraception…. comment s’étonner alors que ce droit ne soit pas vu comme un droit positif et fondamental, mais bien comme un geste néfaste qui est à combattre ? Car tous ces discours présentant l’avortement comme un acte néfaste à éviter absolument sont tenus par des gens censés le défendre, par des gens de gauche et non par des groupes extrémistes anti-IVG.
Tous ces gens qui s’insurgent actuellement contre cette expression, sont les premiers à nous être tombés dessus lorsque nous avons crée il y a bientôt un an le site « IVG, je vais bien, merci ! », au motif que parler des femmes qui vont bien après leur IVG banalisait l’avortement. (voir à ce titre l’article « Décomplexées ! »)
Comment peut-on s’étonner qu’à force de fragiliser ce droit, en le présentant comme un acte à la limite de la déviance, on finisse par en faire… un droit fragile ? 
Si les personnes qui se sont insurgées contre cette expression veulent réellement lutter pour le droit à l’avortement, ce sont leurs propres représentations de l’avortement qu’ils doivent interroger. Car si l’on pense qu’une IVG est « excusable » lorsqu’elle est justifiée par de « vraies raisons », c’est que l’IVG n’est pas réellement un droit, mais une dérogation, une tolérance accordée aux femmes à condition qu’elles ne « récidivent pas » et qu’elles se flagellent d’avoir eu recours à ce droit.
Dès lors que l’on laisse à autrui le droit de juger si une interruption volontaire de grossesse est légitime ou pas en se substituant au seul jugement des femmes, à ce qu’elles estiment, elles, relever de leur choix propre, n’est-on pas en train de préparer le terrain à des propos présentant l’IVG comme un acte « de confort » ?
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